Trencadis : littéralement « pique-assiette »,
technique de constitution de mosaïque inventée par Antoni Gaudí par récupération de morceaux de céramique, utilisée notamment dans le Parc Güell à Barcelone.
Cette composition s’envisage comme un voyage musical dans l’oeuvre de Gaudí. Les singulières constructions de l’architecte catalan ont déjà inspiré quelques courtes pièces à Christophe Dal Sasso qui, né sur les rives de la Méditerranée, a développé une affection autant qu’une fascination pour ses formes étranges. Pensée comme une série de tableaux évoquant différents lieux et bâtiments emblématiques (Palau Güell, Casa Batlló, Sagra Familia…), elle met en scène deux pianistes de jazz en association avec un orchestre à cordes. Organisée en deux grandes parties, elle joue des combinatoires possibles offertes par la présence d’un ensemble à cordes et deux musiciens improvisateurs.
À la manière d’une visite architecturale, l’écriture fait alterner vision d’ensemble et détails, grandes lignes et points de fuite, dessin général et circulations intérieures, utilisant la géométrie variable de l’orchestre pour édifier un cheminement dans l’oeuvre. Solo, trio, quatuor émergent ainsi parmi les cordes, établissant des espaces de dialogue avec l’un, l’autre ou les deux pianistes, de manière à engendrer des jeux de perspectives et autres mises en abyme. Entre Baptiste Trotignon, musicien à la double culture, jazz et classique, et Philippe Monange, qui a développé une impressionnante aisance rythmique par sa familiarité avec les musiques africaines, s’établissent des correspondances mais aussi des parallèles qui les amènent à improviser ensemble ou séparément, seuls ou accompagnés par l’orchestre. D’une écriture qui aspire à renouer avec la vigueur de la tradition russe, de Prokofiev ou Stravinski, tout en empruntant ses modes à Olivier Messiaen, reprenant à son compte certains principes dodécaphoniques, Christophe Dal Sasso propose une oeuvre au carrefour de différentes traditions musicales dont l’association, sous le sceau du jazz et de l’improvisation, renvoie à la profusion fantastique comme au rigoureux sens de la forme de son inspirateur.
Texte de Vincent Bessieres, journaliste, chroniqueur, conseiller artistique (Radio France, France 5, magazine Jazzman) et commissaire d’importantes expositions sur la musique et le jazz.